Principales œuvres publiées pendant cette période :
- Blueberry (tomes 24 à 26) : début du cycle de Tombstone ;
- Le Cœur couronné (tomes 1 à 3) ;
- L’Homme du Ciguri ;
- Le Monde d’Edena (tomes 4 à 6) ;
- Après L’Incal ;
- 40 Jours dans le désert B.
Au début des années 1990, Jean Giraud sort de trois décennies intenses d’un point de vue créatif. Après les années 1960, marquées par l’éclosion de son talent et un stakhanovisme mis au service de la série Blueberry, puis les années 1970, qui ont vu l’explosion baroque de son dessin aussi bien dans Blueberry que sous le nom de Moebius, il vient de vivre une décennie 1980 pendant laquelle il s’est profondément remis en cause personnellement et artistiquement, quittant la France métropolitaine pour aller habiter Tahiti puis la Californie, en quête d’une impossible pureté, pour finalement être attiré par les sirènes d’Hollywood.
En outre la mort de Jean-Michel Charlier en 1989 le prive d’une figure paternelle et d’un complice de travail avec qui il formait depuis plus de 25 ans une paire très dissemblable mais extraordinairement créative.
Que faire donc après une décennie 1970 placée sous le signe du foisonnement créatif et de l’explosion baroque, puis une décennie 1980 correspondant à une quête d’un classicisme équilibré ? À plus de 50 ans, Giraud-Moebius entame cette nouvelle période de façon plus apaisée. Contrairement aux précédentes, la décennie qui s’ouvre ne voit pas de révolution, ni même d’évolution majeure, dans l’œuvre de Giraud-Moebius.
C’est particulièrement vrai lorsque l’on regarde les styles graphiques qu’il emploie dans certaines de ses œuvres phares. Ainsi, dans Blueberry, entre La Mine de l’Allemand perdu et Le Bout de la piste, le style de dessin évoluait fortement à chaque album. On ne peut pas forcément dire que Giraud dessinait « mieux » à chaque album, mais en tout cas il dessinait différemment, explorant à chaque fois de nouvelles voies (des sombres contrastes inquiétants du Spectre au balles d’or au style plus lumineux mais crasseux et poussiéreux de Chihuaha Pearl, de la surenchère de hachures et de points de Nez Cassé au dépouillement de La Dernière Carte, avec toutes les variations des albums intermédiaires). Ce n’est plus trop le cas avec Arizona Love et plus du tout dans les cinq albums du cycle de Tombstone. Le style se maintient à un très haut niveau, mais sans évolution majeure ; Giraud connaît son métier et ne le fait plus guère évoluer. On peut même déplorer que sa faiblesse à dessiner des personnages aux traits stables, qu’il avait réussi à surmonter jusque-là, ne prenne maintenant parfois le dessus : les visages des personnages s’allongent fortement et les traits de certains d’entre eux perdent beaucoup en fixité au cours des albums.
Même chose dans les nouvelles tribulations du Major Grubert. Alors que dans Le Garage Hermétique le lecteur émerveillé avait vu se succéder de façon arbitraire une multitude de styles graphiques au long des épisodes de ce feuilleton au long cours, il n’en est plus rien dans L’Homme du Ciguri, suite de ce récit fondateur. Comme dans Blueberry, le style graphique y est une synthèse apaisée des recherches effectuées précédemment.
Comme sur le plan graphique, Giraud-Moebius ne cherche plus à révolutionner son univers narratif dans cette période. Il continue à explorer les univers qu’il a créés : Blueberry bien sûr, le monde du Garage Hermétique (avec L’Homme du Ciguri), celui de l’ Incal (avec un Après l’Incal qui ne convainc pas grand-monde et qui s’arrête au bout d’un seul album alors qu’il était censé ouvrir un nouveau cycle), celui d’ Edena.
Seule exception notable à ce non renouvellement des personnages, il dessine un nouveau cycle avec Jodorowski, quelques années après l' Incal, Le Cœur Couronné. Mais cette nouvelle collaboration n'est clairement pas aussi réussie que la précédente. Jodorowski mêle comme à son habitude quête personnelle de ses personnages et diverses philosophies (le thème principal est celui de la naissance d’un nouveau Messie, engendré par une Marie des temps modernes). Mais le mélange ne prend pas aussi bien que dans l’ Incal. La dominante cosmique des aventures de John Difool fait place à une composante qui se veut comique sans toujours convaincre. La série est en outre desservie par un choix éditorial malheureux (probablement imposé par l’éditeur) : le nombre de volumes de la série est réduit par rapport aux plans initiaux ce qui oblige Moebius à passer de trois bandes à quatre pour la fin du cycle, ce qui écrase inutilement son dessin. On peut également s’interroger sur l’intérêt de voir Moebius dessiner une série réaliste contemporaine. Il ne prend pas le temps de soigner son dessin comme dans Blueberry et le cadre contemporain l’empêche de donner libre cours à sa fertile imagination graphique comme dans ses récits de science-fiction.
Cependant, si, au niveau du graphisme pur, le dessin de Moebius perd beaucoup en richesse et en inventivité, la force des compositions et des créations de mondes fantasmés vient compenser cette invention graphique moindre du trait, tout spécialement en fin de période. Il dessine en effet alors 40 jours dans le désert B, qui annonce les richesses de la période suivante…
(À suivre…)
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